Si nous sommes tous sensibles au geste, pourtant, beaucoup de langues sont très pauvres en termes pouvant spécifier de ses qualités intrinsèques. Cette pauvreté du langage est l’une des raisons qui nous empêchent de nommer et donc de penser la richesse de sa pratique et de sa monstration (H. Godard, 1997). Chaque geste est effectué dans deux contextes différenciés, mais aussi liés. Il se déploie à partir d’un corps, qui a un âge, un sexe, une condition physiologique, psychologique, une fatigue, un état de santé et une culture déterminés. Mais il est aussi effectué en un moment historique et en un lieu géographique donné. Ce temps et ce lieu ont des caractéristiques physiques particulières, mais aussi des caractéristiques sociales et politiques, précises où se côtoient, avec plus ou moins de frictions et de perméabilité, des cultures de gout ayant plusieurs niveaux de capital subculturel (S. Thornton, 1995). Ce qui influence la formulation de tout geste.
Comment lire le geste, donc et avec quels outils ? Certainement avec les savoirs physiologiques et neurologiques, mais tout autant, psychologiques, philosophiques, anthropologiques, sociologiques, somatiques, esthétiques… Seulement récemment l’action humaine, commence à être étudiée comme système complexe d’éléments en interaction ayant besoin d’un croisement constant entre les savoirs disciplinaires de tous ces domaines (C. Roquet, 2019).
Si les questions de la corporéité, son déploiement dans l’espace et dans les relations qu’il tisse avec le monde, sont centrales dans tous les projets que j’entreprends ou auxquels je participe, je m’y intéresse autant, car au-delà de questions d’esthétique ou de recherche scientifique, l’analyse du mouvement corporel touche directement les questions politiques et sociales. En effet, comme le dit Varela, chaque geste produit un corps, donc le corps doit être considéré comme un “morphocycle” (F, Varela, 1985) dont les actions et le monde se construisent réciproquement.
Il y a plusieurs choses qui m’intéressent dans l’analyse du mouvement corporel. La question de la compréhension des ressorts psychophysiologiques de l’expressivité humaine (Michel Bernard, 1977). D’abord la question de la dramaturgie dans le spectacle vivant (H. T. Lehmann, 2002; L. Louppe, 2004) et dans l’installation en art contemporain, qu’elle soit interactive ou pas (J.-L. Boissier, 2009. C. Salter, 2015). Mais aussi les questions des rapports entre le corps, la psyché et les technologies dans le domaine de l’interaction humains-machines et le mieux-être (U. Galimberti, 2002).